LE DILEMME DU PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE IBRAHIM BOUBACAR KEÎTA

Dire que le Président de la République Ibrahim Boubacar Keïta n’est pas dans un dilemme actuellement, c’est se mentir à soi-même. Le dilemme est tel qu’il coupe le sommeil. L’imaginaire peut donner l’exemple d’un homme qui dort profondément, pensant être à l’abri de tout, et dans son sommeil rêve qu’il est au-dessus de la terre et du ciel, et qui est, brutalement, réveillé par un ouragan qui lui rappelle, en fait, qu’il n’est qu’un être fragile qu’il peut emporter. Dans la réalité malienne, l’homme se représente comme IBK qui s’est bâti un mythe favorable à son clan sauf son parti RPM qui a tout donné de son sang pour qu’il accède au pouvoir. Il n’est un secret pour personne que beaucoup des militants de ce parti ont déchanté, au profit, ce qui est intolérable, de ceux qui, il n’y a pas longtemps, lui remuaient le couteau dans la gorge. Tiémoko Sangaré, Président de l’Adema-Pasj,  à cause de sa noblesse, n’osera pas avouer qu’il attendait mieux que le rôle d’un simple troubadour qu’il joue à présent, et cela malgré le bradage de son parti, avec la complicité de Dioncouda Traoré, l’ex-Président par intérim, pour satisfaire ce mythe. Ce mythe s’est transformé concrètement en un ouragan qu’incarne le M5-RFP, qui reproche à Morphée sa mauvaise gouvernance, et se fixe sur une solution consistant, en effet, à l’emportement pur et simple de l’auteur du mythe, demande qui jure avec l’entendement de la plupart des Maliens dont l’expérience et l’imprégnation à la vie politique ne se conçoivent pas dans la violence aux fins de la remise en cause d’un pouvoir démocratiquement élu et installé par eux, qui veulent mettre derrière la spirale des coups d’Etat et faire appel à la stabilité constitutionnelle. Les forces en opposition se jaugeant, des appels au calme et à la retenue fusèrent de toutes parts.

Le dialogue de sourds qui a fini par s’installer fit appel aux bons offices de la CEDEAO, dont l’échec des premières négociations entraîna, le 10 juillet 2020, des heurts soldés par la perte en vies humaines, des dommages importants de biens et de matériels, entre des manifestants à la solde du M5-RFP et les forces de l’ordre, tout ce qu’attendait ce mouvement pour étoffer ses raisons de lutte. Il mit tout en veilleuse désormais pour n’exciper que les tueries qui dépeignent le pouvoir en sanguinaire. Au propre, le pouvoir devait tout mettre en œuvre pour ne pas en arriver là.

L’enlisement en perspective de la situation interpella le devoir de l’Organisation régionale, la CEDEAO, qui dépêcha une seconde délégation conduite par l’ex-Président nigérian, Goodluck Jonathan. Cette mission de bons offices également rencontra le refus à l’acceptation des propositions de sortie de crise qu’elle présenta à IBK et au M5-RFP, qui se focalise comme à une anse à l’idée de démettre le Président, à défaut, de le vider de son pouvoir qui se réduira à un simple rôle honorifique. Ainsi, excédé par la radicalité de la position de ceux que l’on peut appeler désormais les opposants au pouvoir, le Nigérian, Chef de la délégation, laissa entendre avant de partir qu’aucun pouvoir en violation de l’ordre constitutionnel ne sera accepté par les autres membres de l’organisation qui les a délégués. Ce qui est normal, d’autant que la CEDEAO ne pouvait pas avoir une autre approche que celle qu’elle a adoptée. Le bon sens ne peut pas admettre qu’elle vienne dire directement, alors qu’elle cherche une solution acceptable à la crise, à IBK de rendre le tablier, en sortant du cadre juridique de sa mission, en dehors même de la pensée galvaudée qu’elle constitue un syndicat de défenseurs des princes du jour. Ou bien, peut-elle agir autrement que de défendre l’idéal de voir l’avènement de tous les Chefs d’Etat de la sous-région au pouvoir par les urnes ? Il ne faut pas non plus attendre cela des Chefs d’Etat qui viendront demain au Mali.

Maintenant, en mettant les réminiscences de côté, les parties prenantes à la crise doivent accepter le principe du dialogue prôné par nos médiateurs et facilitateurs, tout en restant dans le cadre constitutionnel dont certaines dispositions ne permettent pas, en partie, des solutions de l’organisation qui mettent le président dans le dilemme. Par exemple, la dissolution de la Cour Constitutionnelle taxée de partiale au profit du pouvoir, or aucune disposition constitutionnelle ne le prévoit, même si elle ne bénéficie plus de la caution morale de beaucoup de Maliens, qui ne veulent plus d’elle dans sa forme actuelle, incarnée par sa Présidente. Et tant que celle-ci reste toujours présidente, elle perd toute sa crédibilité. Ses avis, parfois, divergents, ne sont pas étrangers à cet état de fait. Le dilemme du Président demeure de se débarrasser d’elle sans paraître violeur de la constitution, malgré la démission de quatre de ses membres et le décès d’un conseiller, et de satisfaire l’exigence des protestataires et la recommandation des missionnaires de la CEDEAO.

A cette fin, puisque le Mali est au-dessus de tout, le raisonnement devrait se prêter à la pensée que la démission de quatre membres de la Cour et le décès d’un autre permet de conclure qu’il y a paralysie, la Cour manquant de quorum pour siéger et est rejetée par les électeurs. Il serait illusoire de penser qu’en gardant la présidente actuelle de cette Cour même avec la nomination de conseillers en remplacement  de ceux qui ne sont plus là, l’on pourra résoudre l’équation du rejet dont elle fait l’objet. Le cas échéant, toute décision de la Cour dans le futur sera sous caution et est susceptible de causer des mécontentements. Le meilleur moyen pour mettre tout le monde d’accord c’est d’inviter le Président à user des pouvoirs exceptionnels visés dans l’article 50 qui lui sont dévolus  dans la constitution, afin d’avoir la possibilité de la refondation totale de la Cour, et plus tard la dissolution de l’Assemblée Nationale.

Encore une difficulté à accepter les propositions des missionnaires de la CEDEAO, concernant la contestation contre des Députés supposés nommés par la Cour Constitutionnelle qu’élus. Les dispositions constitutionnelles du Mali ne donnent pas droit au Président d’ordonner des partielles à propos de Députés déclarés élus par l’auguste Cour, dans le principe, car l’arrêt qui les consacre a acquis la force de chose jugée. De cet arrêt qui n’est pas susceptible de recours découlent désormais des droits acquis, sauf si les intéressés eux-mêmes acceptent de s’en priver, sinon il n’y aurait de sécurité juridique nulle part, et surtout à l’avenir. Ici, la seule possibilité du Président reste de dissoudre l’AN en vertu de l’article 42 de la Constitution et de faire reprendre les élections de tous les Députés, en  octroyant à chacun d’eux une subvention forfaitaire.

En ce moment, le M5-RFP a intérêt à accepter si ces solutions venaient à être proposées de revoir leur exigence de démission du Président de la République, avec, en outre, un Gouvernement d’union nationale. Dans son état actuel, le Mali ne peut supporter des embargos et de rupture de relations et de financements, qui sont en sourdine, et, en l’occurrence, une guerre civile.

LA DEGENERESCENCE D'UNE DEMANDE RADICALE

Ce qui n’était pas une mer à boire est en passe de devenir une mer à boire pour les Maliens. Le mouvement du M5-RFP tend désormais vers une extrapolation des limites admissibles ou supportables pour les Maliens, même si personne ou beaucoup ne nient pas la justesse de ses revendications. Comme pour soutenir que dans toute chose la démesure perd le sens de la raison gardée. La  conception et la mise en œuvre de ses actions, aussi bien qu’à bien des endroits transcendent les règles démocratiques et d’un Etat de droit, manquent d’inéquation avec les réalités maliennes.

Dans le contexte de ces actions, la tolérance d’une désobéissance civile, en prétendant défendre la forme républicaine de l’Etat, renvoie à un gouvernail soûl qui va dans la direction opposée au but recherché.

Pour la population, meurtrie des récriminations du mouvement dont les résolutions sont le fondement d’un cheval de bataille d’une lutte, les résolutions et recommandations en vue de paralyser le fonctionnement normal des institutions ont été plutôt conçues contre elle et ses activités de tous les jours. En bloquant les services d’assiette, financiers et tout ce qui y est lié, c’est l’économie entière qui sera bloquée. L’on pourra difficilement faire entendre à un opérateur économique, à un salarié, qu’il ne pourra pas accéder à ses fonds par un blocage d’un mouvement politique, même s’il en est membre. Cela est encore moins tolérable pour un simple citoyen auquel l’on refuse le déplacement à la recherche de la pitance du jour, dans un pays où la majorité souffre du souci de la survie du lendemain.

Déjà, les décisions du mouvement enregistrent des échauffourées, entraînant des pertes en vie humaine, des blessés et des dégâts importants de biens et de matériels, accompagnés de pillages. Dans ce cas, des infiltrations mal maîtrisées trouvent le terreau à l’expression du désordre et de l’anarchie qui peut conduire inexorablement à une guerre civile que l’on ne souhaite pas. A dessein, une arme à feu a été découverte sur un manifestant dont les enquêtes pourront déterminer l’obédience et les intentions réelles. Le mouvement doit revoir sa copie du blocage et l’agression des services et mêmes des citoyens dont les mesures entravent les activités normales, permettant de le recadrer dans ses objectifs soutenus et soutenables pour l’ensemble. Les fonctionnaires et tous les salariés ne concevront pas par la faute du mouvement l’empêchement de toucher leurs salaires à la fin du mois. Le cas échéant, ce serait une catastrophe à l’échelle nationale.

Le Président de la République, si ce sont les seules solutions, doit user de l’article 42 de la constitution, ou parvenir à faire démissionner les Députés qui sont l’objet de contestations, et/ou, à défaut de faire démissionner tous les membres de la cour constitutionnelle, de l’article 50 de cette même constitution, en prenant un décret de l’abrogation de celui qui les désigne, à l’effet de donner satisfaction aux contestataires qui refusent la violation de leurs droits, et par lesquels les cordes du mécontentement sont tirées.

LE MEMORANDUM DU M5-RFP ET LA SORTIE DE CRISE

Personne au Mali d’aujourd’hui ne peut se voiler la face devant les difficultés, bien que l’expurgation de l’offre de dialogue du mouvement du M5-RFP de l’exigence de démission du Président de la République soulage plus d’un. Cette offre de dialogue consignée dans un mémorandum, se fait l’expression unilatérale de l’incompétence du Prince du jour à faire face aux défis auxquels est confronté le pays, sans tenir compte, et cela demeure un os, des impératifs constitutionnels qui doivent gouverner tout peuple dont le souhait principal tend vers la stabilité permanente. Est-ce à dire, en perspective, que tout mécontentement, même majoritaire, trouvera comme mode alternatif de règlement les soulèvements, au mépris des règles sur lesquelles la Nation est fondée ? J’en doute, d’autant que le constitutionnaliste malien a pensé déjà à l’éviter en limitant le nombre de mandats présidentiels à deux, permettant ainsi de venir à bout, le plus tôt, du mauvais dirigeant qui a l’ambition, malgré tout, de s’éterniser au pouvoir. La maturité des citoyens doit aider à la pérennisation de cet acquis constitutionnel, et mieux, priver de toute chance à un pouvoir frappé d’érotomanie, erratique, erroné et érodé d’obtenir même deux mandats. Il faut, notamment, cultiver la conscience collective de l’intérêt général par rapport à l’intérêt privé. La lutte sera plus supportable si elle cristallise cette mentalité, au lieu d’ouvrir la porte au futur incertain qui donnerait droit à acquérir le pouvoir par la force que par les urnes.  L’anti-constitutionnalisme  se limite à se construire sur l’inexistence de garantie pour tout pouvoir, qu’il soit juste ou non. La frustration de cette garantie conduit forcément à la déstabilisation institutionnelle perpétuelle, dont le corollaire pourra être l’anarchie.

Donc, pour ainsi dire, le mémorandum présenté à l’application, sinon, au Président  de la République pêche dans une telle République, en plusieurs de ses points :

Par rapport au Premier Ministre de pleins pouvoirs :

L’histoire malienne récente, au regret d’un coup d’Etat, a vécu cette expérience qui a tourné court d’un Premier Ministre de pleins pouvoirs, en la personne de Cheick Modibo Diarra, qui ne s’est jamais compris avec ses mandants, encore moins avec le président de la transition, en l’occurrence, Dionconda Traoré. Ce risque de crise institutionnelle n’est pas à écarter même maintenant en cas d’opposition dans les vues entre le Premier Ministre ainsi désigné et le Président, ou entre lui et ceux à l’œuvre de son choix, ou même entre lui et une autre partie importante du peuple, car le triomphe pur du droit et de la loi dans le contexte malien est jalonné d’embûches significatives. L’honnêteté dans l’application stricte de la loi est sortie très souvent écorchée, voire écornée. La bonne gouvernance chez bon nombre de gouvernés est synonyme de la discrimination négative de la distribution de la loi à leur égard. Cette mentalité, si elle ne change pas, transcende avec l’autorité d’un Premier Ministre de probité irréprochable qui appliquera la loi sans état d’âme, sans faveur aucune. Or c’est ce qui est recherché. Enfin, le retour d’un Premier Ministre de pleins pouvoirs renvoie, pour la compréhension de beaucoup de constitutionnalistes, à la volonté unique de délester le Président de la République de son pouvoir de contrôle de la politique que l’on mène en son nom, or c’est lui qui est élu pas ce Premier Ministre, avec la confirmation d’un arrêt de la Cour Constitutionnelle.

Par rapport à la Cour Constitutionnelle :

La Cour Constitutionnelle du Mali est une institution de la République voulue par le peuple malien, qui a souverainement déterminé sa composition, sa saisine et son fonctionnement, et les effets de ses décisions qui ne sont pas susceptibles de recours, même si celles-ci peuvent prêter à contestation. Sans penser à la refondation des textes qui peuvent être à la base des contestations à chaque élection, la demande se focalise sur la démission des membres de la Cour, or aucun texte ne prévoit la démission forcée de ceux-ci, qui ne se sont pas désignés eux-mêmes. C’est comme dire, au lieu de s’en prendre à la cause de sa chute, on s’en prend au lieu de celle-ci. Ainsi, on ne sera sorti de l’auberge que lorsque la désignation et la conscience des acteurs s’amélioreront.

Par rapport à l’Assemblée Nationale                                                                                                             C’est dire que l’arrêt de la Cour qui a déclaré élus les Députés actuels de l’Assemblée Nationale ne peut pas être anéanti , exceptée la voie de sa dissolution par le Président de la République, ce qui entraînerait des dommages collatéraux contre ceux-là qui ont été élus normalement, qui courent la possibilité de la démobilisation de leur électorat qui est parfois fluctuant. La moralisation des élections au Mali reste un objectif lointain tant que les citoyens ne se gênent pas de se faire acheter à chaque élection. Ce mal devenu profond doit être éradiqué pour penser réellement à des élections crédibles.

Par rapport à l’idée de transition :

La mémoire politique nous rappelle que toutes les transitions ont été instituées en faveur des coups de force, en dehors des Etats dits réellement démocratiques. Ainsi, l’on ne peut pas l’imaginer dans les démocraties qui nous inspirent. Veut-on par là ôter à l’autre partie du peuple, au sein duquel on rencontre de très valeureux cadres maliens, qui défend le pouvoir d’IBK qu’elle a élu , ce droit de penser qu’il a le devoir et l’obligation de terminer son mandat ?

D’où, à ce stade, la meilleure solution de sortie de crise, puisqu’en fait aucun aveuglement n’empêche de croire au bien-fondé des récriminations de la gouvernance du Président, même s’il n’est pas seul comptable, y compris certains membres du M5-RFP qui ont eu à cheminer avec lui, c’est le principe d’un gouvernement d’union dans lequel il est possible au président de la République, s’il y a République, de concéder les départements qui forment le lot des polémiques, comme la défense, les finances, la justice, la santé, l’éducation, à ceux-là qui seront désignés par le mouvement en opposition, s’ils remplissent les critères. Enfin, bien que l’actuel Premier Ministre ne se reproche rien en termes d’honnêteté, si c’est une condition sine-qua-non, un autre Premier Ministre consensuel peut être désigné par toutes les parties prenantes élargies à d’autres  sensibilités politiques, majorité, opposition et société civile confondues.