Au Mali, s’il existe un problème sérieux qui tenaille avec récurrence les tenants successifs du pouvoir, c’est le problème du foncier. En parler même serait fastidieux et inextricable en raison de l’imbroglio qu’il comporte. Et pourtant la législation qui régit le domaine est l’une des meilleures de la sous-région
En effet, l’ordonnance n°00-027/P-RM du 22 mars 2000 portant code domanial et foncier, modifiée et ratifiée par la loi n°02-008 du 12 février 2002 et la loi modificative n°001/ANRM du 10 janvier 2012, le décret n°02-112/P-RM du 06 février 2002, ont le mérite de camper les limites à l’acquisition du foncier et, subséquemment, au règlement des litiges qui s’y rapportent . Rien n’y fait à cause de l’état de la moralité des acteurs qui interviennent dans le secteur : les services du domaine, les maires, l’administration et les coutumiers.
A commencer par les coutumiers, ceux-ci ne veulent pas sentir les services de domaine, et mêmes les maires, qu’ils accusent de s’approprier indûment de leurs terres vitales. Etant jadis les premiers occupants, ils sont devenus par la force des choses les administrateurs traditionnels de populations s’accroissant de jour en jour. Des villages de moindre importance démographie sont habités actuellement par cinq cent, voire cinq mille âmes et plus, si bien que la terre devenant économiquement rentable se raréfie, et fait le lot de conflits. De ce fait, la recherche de terres nouvelles devient une nécessité, mais à quel prix, puisqu’elle ne se conforme pas le plus souvent à la légalité, qui, il faut le reconnaître, est ignorée par la majorité. Les textes sont tous écrits en français et les 80% de la population ne lisent pas le français. Ainsi, dans les contrées éloignées ou non, les modes d’acquisition de la terre sont purement traditionnels : le premier occupant ou conquérant, le don, le legs et le prêt. Justement, ce sont ces modes qui sont problématiques, car ils sont constamment remis en cause. Les plus malins, qui savent qu’ils ne sont pas sous-tendus par des écrits, se mettent à nos jours à contester les propriétés qu’ils affirment. On n’est pas étonné d’entendre le plus souvent devant les Tribunaux que l’occupant de plus d’une cinquantaine d’années d’un champ n’en est pas réellement le propriétaire parce que celui-ci lui a été prêté, alors que jamais, son père ou jamais personne du vivant de ses parents n’a fait cas de prêt . Le Juge n’étant pas dans le secret des Dieux, pour la manifestation de la vérité, le procès peut prendre l’allure d’une course de marathon à tous les échelons de procédure, notamment si les témoins parfois cités par les parties connaissent peu le fond du litige, ou sont de mauvaise foi, ou simplement sont animés de la volonté de nuire. Dans ce cas de figure, des chefs de villages, des maires ou des députés, dont l’un des protagonistes est acquis à leur cause, peuvent venir ou présenter des écrits pour affirmer des droits qui n’existent pas.
A ces sortes de conflits dès fois voulus et entretenus par ceux qui sont permanemment en quête d’intérêt, s’ajoutent les problèmes liés aux rapports prenants entre cultivateurs et éleveurs d’une part et les pêcheurs d’autre part. Les bourgous, les harimas, les passages d’animaux, demeurent une litière de mésentente pouvant conduire à des affrontements. Tout autant les gens sont pugnaces quand il s’agit des limites des fleuves, des mares, marigots et étangs. Ici, mêmes les pêches collectives sont cause de contingences et de divergences, relatives à la prééminence des familles, qui traditionnellement les organisaient. Celles-ci étaient supposées détenir des pouvoirs mystiques, qui ne toléraient pas la violation de l’ordre préétabli. Cela est valable pour les traversées des animaux pendant lesquelles la préséance des dignitaires est respectée. A présent, mêmes ces détenteurs inamovibles des pouvoirs de gérer exclusivement les terres et tout ce qui s’y rapporte il y a quelque temps sont de façon virtuelle contestés et parfois même vilipendés, du fait que certains parmi eux, avec l’évolution, ont perdu toute dignité par leur manque d’honnêteté. Ceux-ci, avant, préféraient la mort à la honte, leur dignité à quelles que faveurs que ce soient. Aujourd’hui, ils forment plutôt l’égérie de l’administration et des maires qu’ils combattaient naguère contre leurs semblables dont ils spolient injustement les biens.
A certains endroits, les maires, auxquels la loi a donné le pouvoir d’attribuer des terres par voie de permis provisoires, ont perdu toute leur crédibilité, soit par ignorance, soit par maléfice politique, soit par mercantilisme. Il n’est pas rare de voir des maires attribuer, arrêtés à l’appui, des lots mêmes sur des terres non immatriculées. A la limite, ceux-ci sont très souvent sources de conflits entre leurs électeurs. Ils ne sont pas étrangers à bien des occupations anarchiques dans les villes, entraînant, de façon regrettable, des dégâts importants et parfois même des pertes en vies humaines. Les artères les plus importantes sont obstruées par des installations autorisées par eux, moyennant à bien des cas des sous-tables. C’est un plagiat de dire que beaucoup de maires gèrent mal le foncier au Mali. Heureusement que l’on ne peut pas jeter l’opprobre sur tous tant parmi eux certains étaient et demeurent presque irréprochables. Si les élections continuent à être repoussées aussi longtemps, il y a risque de voir des maires déserter leurs communes. Qui ignore au Mali que des maires insoucieux se permettent de doubles attributions sur des terres, aux plus offrants ? Dans ces jeux de caïmans, le pauvre n’a que ses yeux pour pleurer. Peu de gens savent que la Justice, dans sa perspicacité, a eu à annuler une quantité importante d’actes établis par ces quelques maires véreux. En cela, l’on n’ignore pas qu’ils sont aidés par un nombre restreint de brebis galeuses dans l’administration et dans le corps judiciaire.
Le même opprobre frappe certains administrateurs qui pensent qu’ils sont sortis des cuisses de Jupiter et, tenant front aux premiers mis en cause, se donnent tous les droits d’attribuer des terres selon leur seule volonté. Par ce biais, ils arrivent à opposer tout le monde rien qu’à leur profit personnel. Même la nomination des chefs de villages et autres n’est en marge de ces méfaits. A l’occasion des attributions des concessions rurales selon les échelons, naissent des conflits, parce que la légalité n’a pas été respectée.
Il est donc impérieux que des mesures idoines soient prises pour extirper de ces corps les crapules qui n’honorent pas leurs fonctions. Comment comprendre que même le titre foncier qui était voulu comme une garantie inattaquable en matière de propriété foncière soit sujet à caution, et soit par conséquent soumis à annulation intempestive, par la faute d’une minorité d’agents des différents services de domaine ?
C’est pourquoi nous nous résumerons pour poser la question qui vaille qui est celle de savoir si à l’état actuel de notre disposition organisationnelle sur le foncier est-ce que la voie judiciaire incontournable cependant peut seule suffire à endiguer les tares qui minent le système de propriété que tout le monde souhaite. Nous croyons que non. C’est ainsi que mêmes les assises nationales des états généraux du foncier (2009) n’ont pas permis de voir le bout du tunnel. Il importe dès lors de dynamiser les modes alternatifs, qui ont besoin d’être bien structurés, de règlement des litiges fonciers crédibles mais redevables, dont les responsables répondront en cas de faute devant les Tribunaux, de constituer un cadastre sur l’ensemble du territoire (article 49 du code domanial et foncier) qui permettra de connaître toutes les propriétés et leurs propriétaires, les limites de ces propriétés . Ainsi les propriétaires seront assurés par des titres en bonne et due forme, pour ceux qui n’en ont pas. En toute connaissance de cause, l’Etat peut, en conséquence, procéder à des rétributions et par purge des droits coutumiers, si nécessaire, et pallier l’état discriminatoire que l’on connaît actuellement qui fait que certains ont des étendues énormes de terres, par le principe du premier occupant, ou par corruption, alors que d’autres n’en ont pas, ou ont une part incongrue . L’Etat en vue d’être efficace doit revoir ses structures impliquées dans le foncier en les rassemblant en une seule, de sorte, mettre terme aux attributions des maires par permis et des services de domaines par titres fonciers. De cette manière, il pourra engranger des recettes importantes par l’entremise d’un cadastre fiscal à la taille du développement économique de cette sphère.
Le Chef de l’Etat, lors de son message à la Nation, le 22 septembre 2013, de bonne foi, avait dit ceci : Il sera mis un coup d’arrêt à la magouille foncière et à la spoliation des pauvres ou des vrais titulaires.
Tout sera fait pour doter le Pays d’un système cadastral fiable, et ce, dans des délais raisonnables. Il en sera fini des procès monnayés dans les bureaux des juges oublieux de l’éthique.* Nous croyons que ces vœux nobles se sont perdus dans l’Etat de déliquescence du pays causé par l’insécurité qui absorbe toute volonté de faire mieux et par la grande corruption, à laquelle des remèdes appropriés bien que possibles sont difficiles à trouver.