ASSEMBLEE NATIONALE: DUPERIE POLITIQUE

La réalité politique du Mali offre deux tendances seulement : la majorité et l’opposition. Mais, dans le contexte malien, l’opposition, qui semble être une nouvelle expérience, n’a pas la posture aisée due à plusieurs facteurs : facteur historique, facteur de gouvernance, facteur d’intérêts des acteurs politiques et facteur de compréhension de la démocratie par la majorité des Maliens.
I-                    FACTEUR HISTORIQUE :
A-Avant les indépendances :
Dans l’histoire politique du Mali, avant les indépendances, toute idéologie différente du colonisateur était perçue comme une désobéissance arrogante contre l’ordre établi par lui et était mâtée dans le sang. L’US-RDA et le PSP, les plus connus comme partis à l’époque, n’avaient d’impact profond sur les sociétés en dehors de leur canalisation, encadrement et les intérêts d’exploitation du maître. Ils ne véhiculaient pas réellement une culture démocratique sociale. Leurs objectifs étaient mal appréhendés par le plus grand nombre, sauf que l’US-RDA était favorable au colon et le PSP en était contre, si bien que ce dernier était étouffé et manquait énormément de moyens de son expression. Cette inégalité a continué jusqu’aux indépendances avec son corollaire d’arrestations, de brimades quotidiennes des partisans de celui-ci. 
B-Après les indépendances :
A la suite des échecs des fédérations africaines, le Premier Président du Mali, Modibo Keïta, avait opté pour le socialisme. Alors, dans la constitution, le multipartisme était théoriquement admis, mais dans les faits, c’est l’option de parti unique qui était appliquée. Ce que l’on a appelé le pouvoir de parti unique de fait.
A la suite de Modibo, renversé par un coup d’Etat le 19  novembre 1968, alors qu’il était à sa huitième année de pouvoir, c’est une junte militaire qui a pris les reines du pays. Ce pouvoir incarné par le CMLN et ensuite l’UDPM avait aboli la constitution de la première République et a pondu une nouvelle constitution qui ne laissait aucune place pour le multipartisme. L’on a appelé cet état également le pouvoir de parti unique constitutionnel. C’est cette dictature, qui s’était établie,  qui a conduit aux soulèvements populaires de mars 1991, l’année à laquelle une autre junte militaire a parachevé l’œuvre populaire.
B-L’ère démocratique :
L’ère démocratique qui portait tous les espoirs de changement n’a pas rempli, sinon à moitié, des attentes des Maliens, si bien que certains regrettent les pouvoirs précédents, qui avaient, au moins plus d’autorité, et n’admettaient pas toute la mauvaise gouvernance qui s’en est suivie, et l’honneur était sauf.
II-                  Facteur de gouvernance :
Sans entrer dans les détails de la récupération du mouvement démocratique, l’évidence nous montre que ceux en qui le peuple a fait totalement confiance jusqu’ici ont trahi pour s’accaparer de tous les segments de profits que le pays offre. Ils ont instauré une autre dictature qui consiste à écarter tous ceux qui ne partagent pas leur vision de la conduite des affaires. D’ailleurs, à tous les postes clef de l’administration, ils ont placé des parents, des amis et camarades, ou tous ceux qui acceptent de partager les meilleurs profits avec eux. Leur loi du plus fort se résume à dire que quand tu n’es pas avec moi, donc tu es mon ennemi, alors tu es suivi, persécuté, et tu n’as droit à aucun privilège. Ainsi, avec l’ère démocratique, chaque prince du jour est venu avec ses opérateurs économiques, ses fonctionnaires et affidés qui bénéficient de tous les marchés juteux. Ceux qui ne sont pas dans ce canevas peuvent se ronger les freins, il n’y a rien à regretter. Parler ainsi du mérite devient une vue de l’œil.
III-Facteurs d’intérêts des acteurs politiques :
Quand l’essentiel du jeu démocratique est dominé par une minorité qui a compris que pour accéder à tous les privilèges il faut nécessairement faire de la politique, il faut craindre pour les populations. Puisqu’en ce moment, au lieu de mener le combat pour l’amélioration des conditions de celles-ci, c’est plutôt la course à mieux se servir qui est mise en avant. Le politicien malien joue plus pour ses intérêts que ceux de ses électeurs. Le spectacle le plus ensoleillé demeure le manque d’idéal politique, de conviction, de foi, de vision, qui fait que l’adhérence à un parti se satisfait toujours de calculs, si bien qu’en pleine mandature des Députés acceptent de trahir leur base. C’est ce que bon nombre de Maliens appellent « la mangecratie partagée », qu’il ne faut aucunement rater lorsque l’occasion se présente.
Aujourd’hui, malin sera celui qui me dira avec certitude qui est dans l’opposition et qui ne l’est pas. Les dernières élections législatives en sont une illustration parfaite de la duperie politique qui, alors qu’elle crie au crime, vient sans vergogne s’allier avec le criminel. Il est évident que sans ces alliances dites de contre nature certains candidats n’avaient aucune chance d’être élus ou réélus.
Par conséquent, l’on n’est pas étonné de ce qui vient de se passer  pour l’élection du Président de l’Assemblée Nationale, pourtant apprécié, et la composition des groupes parlementaires. Le Président de l’Assemblée, Moussa Timbiné, est un rassembleur de nature, c’est pourquoi il était souhaitable qu’il soit élu à ce perchoir sans le vote favorable de l’opposition. Avec la composition des groupes parlementaires, c’est la pensée unique qui est en train de faire ses beaux jours, à cause parfois de querelles de clocher, de personne. Cela annihile tous les sacrifices consentis pour l’ouverture démocratique.
Pour la constitution des groupes parlementaires, les Députés avaient donc le choix à faire entre la majorité et l’opposition. Pour ce faire, de tradition, un groupe parlementaire doit être un regroupement des députés ayant les mêmes tendances et partageant les affinités, opinions ou objectifs politiques.
Tout groupe parlementaire comprend au moins dix (10) députés. Aucun député ne peut faire partie de plus d’un groupe parlementaire. Mais un député peut également être non inscrit. Le groupe parlementaire sert de cadre d’échanges et de concertation aux élus des différents partis politiques pour faire valoir leurs idéaux et se caractérise par une certaine discipline de vote. Un député qui n’appartient à aucun groupe peut s’apparenter à un groupe de son choix, avec l’agrément de ce groupe. Un député qui n’appartient ou ne s’apparente à aucun groupe est dit non inscrit. C’est le cas, dit-on, du député Moussa Mara.
Dans la posture qui est la tienne, est-ce à dire que son vote porte peu d’impact sur les décisions ?
 C’est le lieu de constater que le groupe parlementaire affilié à la majorité parlementaire se déclare d’emblée favorable aux idéaux, aux prises de décisions  de celle-ci, même si rien n’empêche que, jouant honnêtement pour l’intérêt général, des divergences arrivent parfois. C’est dire qu’aucun texte n’interdit à un député d’un groupe parlementaire majoritaire de voter en faveur de la position prise par l’opposition s’il pense que c’est plus juste. Dans la configuration actuelle de la Représentation nationale, qui manque de lisibilité, c’est ce qui se dessine, tant cette majorité est disparate et n’offre aucune homogénéité dans son essence.
A la longue, il est même prévisible que des défections interviennent dans ses groupes parlementaires, comme c’est l’habitude dans cette Assemblée nationale, lorsque les intérêts ne concordent plus. Ne dit-on pas qu’il vaut mieux le diapason que le diable ? Puisque dans l’essentiel c’est l’intérêt qui guide, que faire dans un groupe qui n’offre aucun profit, pour longtemps ? Pour un député malien c’est sans gêne de claquer la porte à la moindre incartade de son propre parti pour rejoindre le parti qu’il critiquait, vilipendait récemment, lorsque ses intérêts le commandent.
Dans cette Assemblée sans visage pour le moment, à part le choix de son Président, le conseil de La Fontaine sied « La patience et longueur de temps ne font que force ni que rage ». En effet, il n’existe pas de vérité que le temps ne révélera pas.
III-                Facteurs de compréhension de la démocratie par la majorité des Maliens :
A part les quelques avisés, le Mali profond ignore la culture de l’opposition telle qu’elle est conçue par les démocraties modernes. L’accession d’un homme à cette haute charge a été toujours considérée comme une prédestination, un don céleste pour bon nombre de Maliens. A chance égale, le plus veinard de Dieu perce quoi qu’on fasse ou dise. Les qualités de l’homme se noient dans cette conception de la vie qui veut que le chef s’arroge de tous les droits, le temps de reine que le Tout Puissant lui a accordé. Toute autre vision est assimilable à du « Hassidiya ».
Ainsi, la nouvelle expérience qui se trouve être la démocratie n’est pas encore éloignée du biberon. Elle mettra du temps à trouver son chemin si on prend en compte tout  ce qui a été affirmé plus haut. Jusqu’ici c’est la peur au ventre que les Maliens expriment, à leur risque et péril, leurs opinions, leurs pensées de la vie publique.
Par ailleurs, en raison de la gouvernance à géométrie variable, beaucoup de Maliens se convainquent que pour bénéficier des avantages du pouvoir il faut être de son bord impérativement. Dans ce cas, l’opposition se représente comme un trouble-fête.
Mais, enfin, l’on ne peut s’empêcher de hausser le cri pour soutenir qu’aucune démocratie n’existe si elle n’est pas sous-tendue par une opposition crédible, à moins qu’on retourne à nos arrières, qui ne sont pas, pour autant, dénuer de valeurs à tous les égards.
Pour conclure, dans l’architecture actuelle d’un pouvoir démocratique, comme il doit y avoir une affirmation claire des trois pouvoirs, l’exécutif, le législatif et le judiciaire, il faut le multipartisme, au sein duquel compte l’opposition. C’est ainsi dire qu’aucun orchestre agréable ne joue à corde unique.

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