SUITE DES ARTS, RELIGIONS ET MYTHES

I-les Hommes du refus:

Parmi les véritables sédentaires actuels, les Maliens se repartissent entre le groupe manding (40% de la population), le groupe soudanais (20%) et le groupe voltaïque (12%). Le premier comprend les Bambara qui forment la plus importante (environ 32%) des minorités nationales, les Malinké et les Dioula. Le second groupe rassemble les Sarakollé, les Songhoï et les Dogon. Dans le troisième, enfin, se retrouvent les Senoufo-Minianka et les Bobo. A ces grands groupes, il faut ajouter d’autres minorités souvent considérées comme des sous-groupes : Ouassoulonké, Diawara, Khassonké et Toucouleur.
Les Bambara occupent la région de Ségou –où ils ont fondé un puissant royaume au XVIIè siècle —, le Bénédougou (au nord de Bamako), le Kaarta (à l’ouest et au nord de Bamako) et tout le sud de la capitale. En réalité, ils ont essaimé un peu partout, se mélangeant avec les autres ethnies, aidés qu’ils étaient par une langue devenue langue véhiculaire de fait.. C’est peut-être aussi leur revanche sur l’histoire.
Hormis les royaumes —musclés mais éphémères— de Ségou et de Kaarta, les Bambara n’ont pas, en effet, fondé d’empire. Réfractaires à toute autorité— à toute idéologie, pourrait-on dire—, ils sont « ceux qui refusent un maître » (Ban-Mâna, que les colonisateurs prononcèrent « Bambara »). Selon une autre thèse, le mot viendrait de bamba (crocodile). Mais d’après l’interprétation la plus répandue, les Bambara seraient réellement  des « hommes du refus », ayant, au cours de leur histoire, refusé aussi bien les empereurs que les prophètes. La preuve en est que, même lorsqu’ils organisèrent le royaume de Ségou, ils appliquèrent une règle démocratique pour le moins originale : on remplaçait régulièrement le roi… en l’assassinant. A preuve également leur opiniâtre résistance à l’islamisation menée à la pointe de l’épée au XIXè siècle par El Hadj Oumar  ; et à présent encore, les Bambara comptent parmi les Maliens musulmans les moins rigoristes —quand ils ne sont pas tout simplement restés animistes, malgré la persistance de l’islam venant de Tombouctou, en plus.
II-Religions et mythes
Pour le Mali, Tombouctou a été la porte d’entrée principale de l’islam. Tombouctou devait accueillir  au cours des années quatre-vingt les cérémonies célébrant, pour les musulmans du monde entier, le début du XVè siècle de l’hégire (ère musulmane commençant en l’an 622 de l’ère chrétienne. L’islam voulait ainsi rendre  hommage à cette ville millénaire qui fut, voici quelque sept cents ans , l’une de ses métropoles culturelles. Hommage également au Mali, dont l’histoire a déterminé depuis le VIIIè siècle de l’ère chrétienne, l’islamisation de l’Afrique noire.
Ce fut un islamisme adapté. Ainsi, les grands noms de l’histoire malienne appartiennent aussi en effet  à l’histoire de l’Afrique musulmane. C’est au nom de l’islam que les Almoravides détruisirent  en 1076  l’empire du Ghana. C’est son fastueux pèlerinage à la Mecque en 1325 qui fit connaître au monde l’empereur kankan Moussa du Mali (ou Mandé) ; accompagné par soixante mille porteurs, dont cinq cents esclaves portant chacun un bâton d’or pesant deux kilos et demi, il éblouit le Caire en offrant au Sultan cinquante mille dinars et la Mecque en distribuant vingt mille pièces d’or aux pauvres. Plus près de nous, au XIXè siècle, c’est toujours au nom de l’islam que se sont créés, combattus et disloqués les derniers royaumes : l’Etat théocratique des Peul du Macina et l’empire musulman qu’El Hadj Oumar voulut bâtir en proclamant la djihad contre les infidèles et les incroyants. C’est du reste El Hadj Oumar  qui est le père de la confrérie des Tidjiani d’Afrique de l’Ouest et, aujourd’hui encore, les fidèles venus de partout font le pèlerinage  de Deguimbere, près de Bandiagara, où l’ « émir de tous les croyants » disparut mystérieusement en 1864.
De cette longue et riche tradition religieuse, le Mali a gardé l’empreinte. Pas un village qui n’ait sa mosquée, que ce soit, dans la savane sahélienne, une modeste construction en banco juste décorée d’un œuf d’autruche perché en haut de sa tour, ou à Djenné, un majestueux édifice, chef-d’œuvre de l’architecture soudanaise, chanté par tous les chroniqueurs  arabes du Moyen Âge, avant d’éblouir les voyageurs européens du siècle passé. Partout, dans chaque village,  dans chaque quartier de chaque ville, les marabouts enseignent toujours à leurs talibés(jeunes disciples faisant à l’occasion office de serviteurs) les préceptes et les versets du Coran.
Curieusement, cependant, il n’existe pas au Mali de confréries religieuses rigoristes, comme au Sénégal. Hormis une infime minorité de Wahabites, les musulmans maliens (environ 80% de la population) sont fort loin d’être intégristes. Bien sûr, dans les écoles coraniques on apprend toujours par cœur les versets du Coran, on s’initie toujours à la philosophie et à la morale religieuse. Bien sûr, dès l’âge de sept ans, les talibés font toujours, par la mendicité, l’apprentissage de la vie, voyageant de ville en ville à la découverte du monde. Mais le Mali est très éloigné du prosélytisme qui animait les chefs guerriers d’antan. Car l’islam malien est resté fortement  teinté de l’animisme de toujours. Les Bambara, en particulier, continuent de pratiquer leur religion ancestrale, à laquelle ils ont en quelque sorte adapté l’islam.
Dieu est toujours Maa, tout au plus est-il devenu Maa N’Gallah parmi les musulmans. Car l’islam s’est facilement acclimaté grâce au monothéisme qui caractérise la civilisation de tous les groupes ethniques. Créateur et maître de l’univers, Dieu est unique pour tous les Maliens. Il s’appelle Irké chez les Songhoï, pour qui il est inaccessible autrement que par l’intermédiaire des esprits et des divinités secondaires. Il est Koulouikière chez les Senoufo ; mais après avoir créé l’univers, « il a fini son travail », et se repose laissant agir les esprits et les génies. Il a nom Amma ou Ammo dans la cosmogonie des Dogon, et gère le monde par la complémentarité et l’antagonisme permanent du fluide mâle et du fluide femelle qui émanent de lui.
Au dessous de cet Ëtre suprême  et absolu règnent les divinités secondaires, les esprits et les génies, qui protègent ou sanctionnent les hommes. Dans certaines régions du Mali, l’animisme est même total. Tout être, animal, végétal, minéral, est doté d’une âme. Car l’univers est formé de deux mondes, parallèles mais étroitement imbriqués dans le quotidien : le visible et l’invisible. Très couramment, à des époques précises correspondant au début d’une activité économique collective (labour ou pêche), ou à l’occasion de certaines circonstances, exceptionnelles ou non  (sécheresse ou départ en voyage), des cérémonies rituelles se déroulent encore dans la plupart des régions. On s’adresse aux esprits pour obtenir leur protection ou pour éloigner les maléfices, on consacre régulièrement les fétiches collectifs et les gris-gris individuels et familiaux.
L’islam n’a donc pas tué l’animisme. Les Touareg, musulmans dans leur totalité, comptent parmi les Maliens les plus pieux, mais ils ne se séparent jamais de leurs porte-fétiches. Mieux, certains sites, censés être sacrés aux yeux de tout musulman, n’en font pas moins l’objets  de rites animistes. Par exemple, la case sacrée et secrète de Kangaba, qui recélerait des objets saints rapportés de la Mecque, rassemble tous les sept ans les griots du Mandé venus pour la nettoyer ; au jour dit, après les incantations magiques, le toit de la case, affirme-t-on, se soulève tout seul  pour se déposer sur le sol et se laisser nettoyer suivant des rites  qui n’ont rien de commun avec la liturgie coranique. Et à la fin de ce toilettage, avec toujours les mêmes incantations, il remontait pour se fixer à sa place.
Ce mélange, somme toute harmonieux, d’islamisme et d’animisme a engendré un syncrétisme de fait dans la région de Gao, où les Songhoï, largement islamisés depuis mille ans, redécouvrent les  holé. Il s’agit de divinités secondaires de la cosmogonie traditionnelle qui assurent la liaison quotidienne entre les hommes et Dieu. Ils peuvent s’emparer d’un double de l’être humain qu’ils transforment en esclave, appelé holé-tam, et à travers lequel ils s’expriment, parlent et prédisent l’avenir. S’ensuivent alors des rites particuliers, où la danse et la parole inspirées (c’est-à-dire effectuées) par le holé servent à imiter le « possédé »à la magie.
Les Songhoï se souviennent  du reste que leur premier empereur, Sonni Ali Ber (1464-1492), était dâli, ou grand maître de la géomancie et de la divination. Les chroniqueurs  arabes ont transmis une image peu musulmane de ce terrible conquérant qui, semble-t-il, marmonnait toutes ses prières de la journée en une seule fois. Après quoi, il s’adressait à elles comme à des personnes, leur disant : « Maintenant, répartissez-vous tout cela entre vous, puisque vous vous connaissez bien les unes les autres… ». image peu pieuse en vérité, mais sans doute transmise dans un esprit de vengeance par les ulemas de Tombouctou, Sonni Ali Ber dut quelque peu malmener pour haute trahison.
Nous livrerons cette partie mystique et traditionnelle à l’article suivant,inchallah.
  

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